L’évolution de notre modèle familial

 Un précédent billet a donné la définition des principales notions relatives à la filiation.

Ce billet, dernier de la série de trois, propose quelques axes d’évolution de notre modèle familial :

  1. billet précédent :
    1. L’histoire et l’analyse d’un modèle familial qui tend de plus en plus vers le fondement biologique et reste centré sur l’exclusivité parentale.
    2. La critique des arguments qui l’étayent : naturalismes, réification, stabilité
    3. Pourquoi il évolue ainsi, et la tension qui résulte de son ambivalence et de son décalage par rapport à ce qui se vit aujourd’hui
  2. billet présent :
    1. Pourquoi il doit évoluer
    2. Comment il pourrait se transformer


Pourquoi remettre en cause notre modèle bio-exclusif ?

Tout simplement car il ne sait plus faire face aux changements de société, à l’éclatement des rôles, qu’il est muet face aux progrès techniques de la procréation qui multiplient les possibilités et les intervenants.
Un seul exemple, tiré d’une argumentation de Sylviane Agacinski : la filiation possible pour les couples homosexuels tendrait à effacer l’altérité sexuelle à la base de la procréation, et remet en question l’idée de finitude de soi par soumission à des règles qui nous sont étrangères, en l’occurrence ici les lois de la nature. On conçoit qu’une telle filiation soit contraire aux principes de biologisation du modèle dominant… Faut-il donc la refuser car elle contredit le modèle, ou faut-il étudier en quoi elle s’oppose ou pas aux principes essentiels de la filiation et de la parenté (ce qui au passage nous forcerait à les définir) et comment elle devrait être aménagée pour les respecter ?

Les conceptions encore à l’œuvre derrière ce modèle sont en décalage par rapport à la réalité, d’où tensions et dissensions.

J’ai tenté de démontrer que tous ces problèmes n’avaient rien de naturel et tout de politique, au sens de construction commune d’une manière de vivre. C’est aujourd’hui, plus qu’un simple choix, une nécessité de remettre l’ouvrage sur le métier et de nous pencher sur la refondation de ce qu’est aujourd’hui une famille.


Dans quelle direction faire évoluer notre modèle familial ?

La critique est facile… quoique j’ai mis du temps à faire la part des choses pour écrire ces billets !

Mais il est assurément complexe de légiférer dans le domaine de la famille et difficile de lancer un débat ayant pour objet de faire évoluer la définition de ce qu’est une famille. Comment trouver l’équilibre entre des tendances différentes et quelquefois contradictoires, dans un domaine où la part des choix individuels est importante et celle des cas particuliers tout aussi incontournable ?

Les problèmes que je vois aujourd’hui sont les suivants :

  • Constitution d’une hiérarchie de la valeur des familles et des liens suivant le critère de réalité biologique (le « vrai » parent).
  • Peu de prise en compte des nouvelles réalités familiales : familles recomposées, homosexuelles.
  • L’appartenance et l’exclusivité que l’on trouve dans les relations familiales peuvent être dans certains cas inadéquates
  •  pas de remise en cause du modèle actuel face aux nouvelles manières de procréer et de faire famille

Les pistes de réflexion devraient donc être :

  1. La remise au premier plan de la notion d’engagement pour faire famille
  2. L’ouverture des liens familiaux à d’autres types de relation et d’autres acteurs de la vie de l’enfant

1. La remise au premier plan de la notion d’engagement pour faire famille

Il s’agit de donner toute sa place fondatrice à la notion d’engagement pour instituer des liens de filiation et des liens de parenté. Cette notion, on l’a vu, existe déjà dans notre droit de la famille. Il a été lentement phagocyté par le lien génétique en tant que fondement de la filiation mais en prenant pour exemple ce qui se passe pour les PMA avec donneurs ou pour l’adoption (engagement irrévocable devant la loi), il pourrait devenir le socle d’une nouvelle définition de la filiation.

En le rendant moins automatique et implicite, on redonnerait à cet engagement toute sa valeur fondatrice : aujourd’hui une simple attestation d’accouchement suffit à faire de la femme la mère dans le sens filiation et parental. Pourquoi ne pas le rendre explicite, à un moment séparé de l’accouchement, sur le modèle de la reconnaissance que fait un père non marié de son enfant : il serait composé de deux points distincts : reconnaissance définitive pour inscription généalogique, engagement parental irrévocable.

Conséquences :

  • Redonner toute sa valeur à l’engagement et remettre sur un pied d’égalité les familles biologiques, adoptives ou ayant fait intervenir un tiers dans la procréation.
  • Dédramatiser les situations et déculpabiliser les femmes ou les couples choisissant de ne pas être le(s) parent(s) d’un enfant. Moins de traumatisme pour l’enfant.
  • Envisager avec plus de sérénité la réflexion sur les multiples types de procréation. Si l’engagement est fondateur, alors on ne se perd plus en conjecture sur qui est la mère, qui est le père, si les différents acteurs de la procréation ne vont pas se dérober, se déchirer, se concurrencer… La porte s’ouvre non seulement sur les réflexions autour de la GPA, mais aussi sur les nouveaux types de relations familiales qui apparaissent. En éjectant le lien biologique de la définition de la filiation et de la parenté, on le réintroduit de manière paradoxale dans un autre type de relations aujourd’hui tenues à distance comme si elles étaient concurrentes.

2. L’ouverture des liens familiaux à d’autres types de relation et d’autres acteurs de la vie de l’enfant

Il nous sera difficile d’imaginer que le rôle parental au sens de l’autorité parental puisse être partagé de manière égale entre plusieurs personnes. On a déjà quelquefois du mal à s’entendre dans un couple pour éduquer les enfants de la même façon, alors si on introduit la mère biologique, le (beau-)père de cœur ou le donneur de sperme en tant que dépositaires de l’autorité parentale, ça va être dur !
Mais on peut imaginer une place pour tous ces rôles, dans nos têtes, dans nos lois, dans nos relations. Après tout, sommes-nous obligés de n’avoir qu’un seul type de relation familial ? La réalité n’est-elle pas déjà bien plus riche ? Ne peut-on vivre tout aussi bien en diminuant l’intensité du sentiment d’appartenance exclusif à sa famille ? N’est -ce pas déjà le cas ?

Aujourd’hui l’anonymat dans le cadre du don de gamète ou dans celui de l’adoption, permet de préserver les parents d’interférences dans les relations parentales. Mais si l’on arrête de penser la parenté comme issue plus ou moins d’un lien génétique ou procréateur (le modèle bio-exclusif), on pourrait imaginer une place à ce donneur qui n’implique aucune relation parentale ni de filiation, qui soit vivable à la fois pour lui, mais aussi pour l’enfant et pour les parents. Exit l’obligation d’anonymat.

Arrêter de penser le lien biologique comme plus légitime et cesser de relier procréation-filiation-parenté pourrait donc ouvrir la porte à l’existence des différents acteurs : mére biologique, beau-père très présent, donneur de gamète. Et en leur donnant une place qui n’est pas celle du parent, on la rend plus sereine pour tous (pas d’engagement dont on ne veut pas, pas de secret des origines), on respecte la « paix des familles », on consolide celle des parents et on assure à l’enfant une stabilité de la relation parentale qui lui permet de l’investir avec confiance : ces autres existent, mais mes parents sont le roc sur lequel je peux m’appuyer, faire mes griffes et vers qui me retourner quoi qu’il arrive.

Ce qui montre en passant que l’adoption simple, si elle devait servir de substitut de l’adoption plénière, induirait aujourd’hui un modèle parental de partage qui serait certainement nuisible à l’établissement de relations stables du côté des parents comme de l’enfant.

Enfin, comme l’autorité parentale peut aujourd’hui être partiellement donnée à un parent, on pourrait imaginer sans faire de révolution intellectuelle qu’elle soit donnée partiellement à des tiers qui vivent quotidiennement avec l’enfant.


… et c’est enfin la conclusion…

Qu’avons-nous appris ?

  • que la filiation est une notion juridique qui institue des droits et devoirs entre un parent et un enfant, qui inscrit celui-ci dans une généalogie, partie constitutive de son identité légale.
  • Que parent au sens filiation, parent au sens autorité parentale et géniteur sont trois notions différentes
  • que le modèle parental encore prégnant de nos jours est : géniteur = parent (dans le sens de filiation) = parent (dans le sens de présence éducative et affective quotidienne, autorité parentale)
    Mais que ce modèle ne correspond plus à ce qui est quotidiennement vécu par beaucoup d’entre nous.
  • Que ce modèle inadapté à un grand nombre de situations vécues incite à refuser tout ce qui en sort, comme tout cadre de conception, laissant au bord du chemin un grand nombre de situations nouvelles : PMA, recomposition, etc.
  • Que ce modèle n’est pas naturel, mais culturel, c’est à dire issu d’un choix de vie que nous pouvons donc faire évoluer.

Bonnes vacances !


Liens utiles, bibliographie

Rapport de la commission de l’Assemblée Nationale chargée d’étudier la réforme du droit de la filiation de 2005.

Fiche de lecture de « L’empire du ventre » de Marcela Iacub (2004).

http://www.senat.fr/rap/r07-421/r07-421.html : une contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui (rapport d’information pour le Sénat).

http://editions.scienceshumaines.com/la-parente-en-question-s_fr-495.htm : panorama complet des notions de filiation et de parenté.

« Enfants du don »  de Dominique Mehl : témoignages d’enfants nés de don de gamète et de leurs parents.

« Geste d’amour : l’accouchement sous X » de Catherine Bonnet : témoignage sur les situations qui amènent des femmes à accoucher anonymement

« L’éche de la protection de l’enfance » de Maurice Berger : témoignage et réflexion sur des échecs de protection de l’enfance dus à la suprématie des liens du sang.

Annexes

(Quelques remarques)

Affaire Benjamin : une femme accouche anonymement d’un enfant, celui-ci est donc adopté plénièrement par un couple. Mais le père biologique avait reconnu l’enfant avant naissance et perdu la trace de son ancienne compagne. Il retrouve enfin l’enfant, déjà adopté. Qui seront les parents ? Imbroglio judiciaire dans lequel parents adoptifs et père biologique auront eu l’intelligence de s’entendre

Le film ‘L’empreinte » retrace l’histoire vraie (dixit le réalisateur) d’une enfant substituée à la naissance (sans volonté de vol d’enfant) que sa mère de naissance rencontre par hasard 7 ans après. Les deux mères finissent pas accepter de se côtoyer. Mais quelle est et quelle sera leurs places respectives ? Le film ne le dit pas, et c’est tant mieux, car tout simplement chaque situation sera différente. La petite fille se contente de dire à sa mère de naissance « En tout cas, moi, j’me souviens pas de toi. »

Les cinq leçons sur la parenté de Maurice Godelier :

  • La filiation n’est pas limitée au couple
  • La reproduction n’est pas la parenté
  • L’inceste n’est pas qu’un interdit de mariage
  • La famille n’est pas le fondement de la société
  • La parenté sociale est de retour

Nombre de cas où la filiation ou la parenté ne correspond pas au modèle bio-exclusif :

  • En 2006, en France métropolitaine, 3,3 millions d’enfants de moins de 18 ans ne vivent plus avec leurs deux parents, 780.000 d’entre eux vivent avec un beau-parent.
  • Nombre d’enfants issus d’une PMA avec donneurs : pas d’enquête sérieuse à ce sujet, mais estimé à quelques dizaines de milliers actuellement en France, au minimum (source : La parenté en Question(s), page 221, Les chiffres du secret, Nicolas Jouarnet)
  • Nombre d’enfants adoptés plénièrement en France : je n’ai pas trouvé de statistiques. mais en faisant un calcul au doigt mouillé : une moyenne annuelle de 800 enfants nés en France, et 2.000 enfants étrangers, depuis 1980, cela nous donne en 2013 un ordre de grandeur de 100.000 enfants adoptés plénièrement en France.

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